Il y a quelques mois, poussée par je ne sais quel mouvement, j’ai eu envie de me réabonner au magazine de l’air, un magazine dédié à la photographie qui publie quatre numéros par an. Mon dernier abonnement datait de 2012, une époque où, sans plus être étudiante, je baignais encore dans l’environnement d’histoire de l’art qui a marqué la fin de mes années 2000. J’habitais en région parisienne, j’avais encore accès à des réductions jeunes pour assister à des événements culturels et je visitais énormément d’expositions artistiques.
De l’air est le seul magazine que j’ai jamais été capable de lire sur la durée. Le fait qu’il n’y ait que quatre numéros par an n’y est sans doute pas étranger, mais c’est aussi parce que c’est un magazine qui fait la part belle aux images avec assez peu de texte. Personnellement je ne lis pas la presse magazine. Ce n’est pas un format qui me donne envie de lui consacrer du temps de lecture, même lorsque les articles sont intéressants, et c’est toujours un peu frustrant de voir des magazines qui ont l’air super, mais dont je sais qu’ils ne seront jamais lus par moi. Je n’ai pas ce problème avec de l’air.
En 2012, de l’air coûtait 5 € et le papier avait un toucher très agréable. En 2024, le numéro coûte 7,90 € et la qualité du papier a malheureusement baissé, mais il m’est toujours aussi agréable de le lire.
Depuis que j’ai quitté la région parisienne et encore plus depuis que j’habite dans une petite ville mal desservie en transports en communs, je me sens souvent en manque de culture. Quand je déprime un peu trop, je m’offre un séjour à Paris pour aller visiter des musées et des expositions parce que j’ai un besoin intense de me confronter à l’art des autres. Le plaisir que j’éprouve à regarder l’œuvre d’un·e peintre ou d’un·e photographe ou à m’immerger dans une installation est infiniment supérieur à celui que j’éprouve en dessinant. Si vous me lisez depuis quelques temps maintenant, je pense que vous aurez compris que la pratique artistique quelle qu’elle soit est essentielle à ma vie. Or, être spectatrice de l’art des autres l’est encore plus.
Jusqu’à cet abonnement inopiné à de l’air, je n’avais pas réfléchi à d’autres moyens de consommer de l’art que ceux que j’employais déjà. Bien sûr, un magazine de photo ne remplace pas le contact direct avec un tirage dans une exposition. L’expérience n’est pas la même et l’intensité émotionnelle ressentie non plus, mais je trouve en revanche que c’est un contact avec l’art plus intime que celui qu’on peut avoir quand on regarde le travail d’un·e artiste sur Internet. Ce n’est pas qu’une question de format, je pense que c’est aussi une question de temps dédié. Quand je décide d’ouvrir un magazine pour découvrir le travail de photographes, je me mets en condition de réception beaucoup plus que quand je scrolle sur mon téléphone et que je tombe sur le travail d’un·e artiste.
Bref, je me réjouis d’avoir repris cet abonnement un peu par hasard. C’est un contact avec l’art à domicile à peu de frais.
La couleur est magique
Tout ça pour dire que dans le magazine de l’air de l’automne 2024, le photographe Julien Chatelain dit ceci :
« À l’instar de beaucoup de photographes, j’ai commencé par le noir et blanc, dont les qualités graphiques donnent à la photo une qualité picturale indéniable. Mais j’ai eu la chance à la Tisch School d’étudier la couleur avec Joel Meyerowitz. Grâce à lui, j’ai compris le langage de la couleur, que celle-ci peut être artistique quand elle devient partie intégrante de la composition. »
Même s’il parle ici d’un autre médium que celui que je pratique, cette phrase sur la couleur a trouvé un écho chez moi.
Quand je me suis remise sérieusement au dessin, j’ai découvert avec surprise que j’étais vraiment attirée par la couleur. Je dis « avec surprise » parce qu’il me semblait que jusqu’à présent j’étais plus attirée par les œuvres d’artistes qui travaillent en noir et blanc. Le noir et blanc, c’est un peu l’essence du dessin. Comme il n’y a pas d’artifice, le trait et les proportions ont une importance capitale et on est facilement impressionné par la maîtrise d’un·e artiste sur un dessin en noir et blanc.
En expérimentant de plus en plus la couleur et en montrant mes différents dessins autour de moi, je me suis aperçue que le noir et blanc enthousiasmait beaucoup plus les gens que la couleur. C’est un peu frustrant quand on a envie de s’engager dans une voie qui n’est visiblement pas la préférée du public, mais apparemment c’est normal : la plupart des artistes que je suis ont l’air de dire que leurs œuvres préférées ne sont jamais celles plébiscitées par le public.
Mon impression, c’est que le côté graphique du noir et blanc met en exergue la virtuosité du dessin de l’artiste, en particulier quand il s’agit de dessin réaliste. On sait à quoi ressemblent les choses dans la vraie vie, il est donc facile d’être impressionné·e par le trait d’un sujet que l’on connaît. Or, plus je suis des artistes qui travaillent avec la couleur, plus je suis convaincue qu’il existe aussi une virtuosité de la couleur. Peut-être cette virtuosité est-elle moins facilement perceptible parce qu’elle s’éloigne du réalisme ? Peut-être nécessite-t-elle un apprentissage supplémentaire de la part des regardeurs ? La couleur, peut-être de manière encore plus frontale que le trait, c’est l’expression de l’artiste, c’est la manière direct dont il ou elle perçoit le monde et je trouve que c’est un enchantement.
La couleur me procure vraiment un bonheur sans limite. Si j’aime autant la technique du pastel sec, c’est justement parce qu’il s’agit de mélanger des couches de couleurs diverses pour créer une harmonie. Que l’on cherche le réalisme, comme avec les poires au pastel ci-dessus, ou que l’on cherche à transmettre une ambiance ou une émotion, je suis 100 % d’accord avec cette phrase de Julien Chatelain : la couleur fait vraiment partie intégrante de la composition et c’est un langage que je trouve passionnant à explorer.
Je vous remercie de m’avoir lue.
À dimanche prochain, où l’on parlera sans doute d’écriture parce que je kiffe mes sessions de travail en ce moment.
J'ai toujours fait partie de l'équipe "noir et blanc seulement" et récemment une amie m'a demandé pourquoi je ne mettais pas de couleur dans mes dessins - et soudain mon carnet s'est illuminé. J'apprends encore leur langage, justement, pas seulement symbolique mais aussi instinctif, ce que chaque couleur (et nuance) m'inspire. Je trouve ça passionnant. Merci pour tes mots et bravo pour tes poires, que je trouve très belles !
Je suis intéressée de voir tes débuts en pastels secs. C’est un médium que je n’ai jamais réussi à maîtriser moi-même mais que j’avais re-découvert dans un musée à Venise. On y découvrait des portraits aux pastels secs du 17-18e s (je crois) réalisés par des femmes essentiellement. (Car le portrait et le médium étaient acceptables à la pratique par des femmes apparemment)
Je les avais trouvés époustouflants de vie et de douceur.
Depuis, j’en ai vu d’autres lors du expo au Musée d’Orsay et j’ai confirmé mon goût.
Bref, tout ça pour dire que je me demandais si tu suivais un cours particulier pour le pastel.
Sinon, je comprends tout à fait ta réflexion sur le N&B et la couleur. Cela dit, personnellement, je suis souvent plus attirée par les œuvres en couleur, plus vivantes. Le N&B me semblant toujours un peu triste, nostalgique et mélancolique.