La reconstitution historique, un repère de fachos ?
Ou comment ne pas abandonner son loisir à l’extrême droite
Le week-end dernier, j’ai participé à un week-end de reconstitution Premier Empire au château de Montigny-le-Gannelon. C’était la première fois, je crois, que je faisais un vrai week-end de reconstitution avec de l’animation historique auprès du public et j’étais vraiment enchantée de cette opportunité. Enchantée aussi de cette excuse pour coudre deux tenues complètes de l’époque, surtout d’un milieu populaire, parce que les occasions de cet ordre ne sont pas légion.
Le week-end s’est bien passé, mais il faut quand même qu’on parle d’un truc.
Quand je me suis inscrite pour cet événement par le biais de mon association, je ne me suis pas du tout posée la question de qui en étaient les organisateurs. Or, arrivée sur place – au château de Montigny-le-Gannelon donc – j’ai appris que l’organisateur de l’événement était le co-propriétaire du château soit le prince Murat, descendant de la sœur de Napoléon, visiblement Action Française et très favorable à un troisième empire.
Bon.
Quelque part, ce n’est pas plus mal que je ne l’aie pas su avant parce que ça m’a donné l’occasion de vivre une expérience instructive.
Je ne vais pas vous dire que j’étais naïve au point de ne pas savoir que la reconstitution historique était gangrénée par l’extrême droite et les nostalgiques du passé (et en particulier peut-être la reconstitution XVIIIe et XIXe), mais je crois que cette conscience n’était pas très concrète dans mon esprit. Maintenant je sais.
Quand, une fois le public parti le samedi soir, 100 personnes se sont levées en bloc pendant le repas pour chanter la Marseillaise, la main sur le cœur dans un bon vieil élan nationaliste, ça m’a mise très mal à l’aise. Quand j’ai appris ensuite que dans la queue pour attendre les saucisses, des reconstituteurs ont chanté « Maréchal nous voilà », je me suis dit qu’il fallait quand même adresser cette question de la place de l’extrême droite dans mon loisir.
Comment faire de la reconstitution historique quand on est anarchiste ?
J’avais déjà été confrontée à cette problématique lors d’une sortie pour la commémoration de l’Armistice du 8 mai 1945. Dans ce genre de sortie, mon association est engagée par une municipalité pour l’animation de la commémoration. En plus du défilé sur des véhicules militaires, il y a donc aussi une partie de discours officiels et, évidemment, l’hymne national.
Personnellement, je ne chante pas la Marseillaise. Je n’ai rien contre le chant en lui-même, mais je déteste le nationalisme et je ne veux pas participer à ce qu’il véhicule. Je pourrais chanter la Marseillaise dans un contexte de jeu de rôle grandeur nature ou sur une scène de théâtre, en incarnant un personnage et dans un cadre très défini, mais je ne veux pas la chanter à l’unisson avec des nationalistes. Le week-end dernier, je suis donc restée assise (ainsi que d’ailleurs les membres de mon association), ce qui a eu l’air de franchement déplaire à l’organisateur de l’événement.
La question que je me pose aujourd’hui est la suivante : comment continuer à faire de la reconstitution historique en étant en accord avec mes valeurs ? À l’évidence, je ne reparticiperai pas à cet événement annuel à Montigny-le-Gannelon. Je n’ai pas du tout envie que mon bénévolat serve les intérêts d’une personnalité contre laquelle je me bats, mais au-delà des choix que l’on peut faire individuellement de ne pas participer à tel ou tel événement organisé par des fachos, comment faire pour faire de la reconstitution historique anarchiste ? Dans quel cadre pouvons-nous pratiquer cette activité de médiation historique pour aller à l’encontre des discours nostalgiques, nationalistes et passéistes ?
C’est une question assez complexe, qui mériterait la rédaction d’une charte personnelle de ce que j’accepte et refuse de faire dans le cadre de ce loisir. Jusqu’à quel point est-il acceptable de participer à des événements auprès d’adversaires politiques pour diffuser d’autres discours que le classique « c’était mieux avant » ? N’est-il pas important au contraire de rendre visible un discours historique de gauche, trop peu diffusé auprès du grand public ? Je n’ai pas vraiment de réponse à ces questions, mais je sens qu’il va falloir que je me positionne plus clairement. Je ne peux pas seulement profiter du prétexte de porter un costume en fermant les yeux sur tout ce qu’il se passe autour.
Je pense aussi qu’il faudrait inventer d’autres occasions de faire de la reconstitution (en particulier XIXe siècle puisque c’est ce qui m’intéresse). Actuellement, cette reconstitution XIXe se passe surtout dans des châteaux (possédés en général par des propriétaires privés beaucoup trop riches) où l’on porte des costumes de la bourgeoisie et de l’aristocratie, ce qui est déjà un problème. Je ne doute pas qu’il existe en France de la reconstitution civile du petit peuple (j’ai d’ailleurs discuté avec des membres d’une association qui fait précisément ça pour le Premier Empire le week-end dernier), mais encore faut-il connaître ces groupes.
Peut-être faudrait-il également se rapprocher des projets d’histoire publique montés par de vrais historiens pour de la médiation historique (il y avait eu un projet du style pour les commémorations de la Commune en 2021 il me semble), mais j’ai l’impression que ces projets s’intéressent peu à la question du costume et de l’incarnation.
Bref, il y a, à mon avis, encore des passerelles à créer entre historiens et passionnés de gauche pour occuper le terrain. En tout cas, il en faudra plus pour me dégoûter de coudre des costumes historiques.
Je vous remercie de m’avoir lue.
À dimanche prochain.
Ha oui mais quel enfer en fait ! (j'ai lu ton article de blog sur la sortie en question juste avant)
Je pense que c'est le genre d'expérience à vivre une fois pour se rendre compte de ce que ça représente (comme pour concrétiser dans son esprit, comme tu le soulignes) mais à chaque fois c'est pas possible.
Il n'existerait pas des reconstitutions dans des villages plutôt? Je veux dire dans les rues et tout, pour mieux représenter le petit peuple. Parce que j'avais été une fois dans un château pour reconstitution et j'avais regretté aussi de me pas me retrouver (ou un moi de l'époque) pour la partie grand siècle. (mais j'avais beaucoup aimé le "quartier" médiéval, avec les joutes et les duels armures/épées, et la reconstitution de l'assaut du château. Début août part 30°C ça impose le respect)