Quand on discute du fait d’essayer de faire de sa passion une activité économique rentable, une réaction courante est d’exprimer une peur d’en arriver à être dégoûté·e de quelque chose que l’on aime parce qu’on l’aurait transformé en contrainte.
Je suis d’ailleurs la première à avoir tenu ce genre de propos concernant la couture. Je ne compte plus le nombre de personnes qui m’ont demandé pourquoi je ne lançais pas un business là-dedans en voyant ce que je partageais sur les réseaux sociaux. Ma réponse était toujours la suivante : parce que j’ai envie de coudre pour moi ce qui me fait plaisir et je n’ai pas envie que ça change.
J’aurais pu avoir avoir la même réaction quand il s’est agit d’envisager l’illustration comme un métier. J’aurais pu avoir peur de perdre le goût du dessin par exemple, mais je crois que la contrainte se place en réalité ailleurs que dans l’activité en elle-même.
Travailler sans se cramer
Depuis que je me suis remise derrière mon bureau après les vacances de Noël, je me suis aperçue qu’indépendante, j’avais le même rapport au travail que lorsque j’exerçais un emploi salarié. Je me suis organisée une routine aux heures de bureau pour pouvoir profiter de mes soirées et de mes week-ends, conséquence de quoi je me retrouve à trouver les week-ends trop courts et à être déprimée le dimanche soir à l’idée de me remettre au boulot le lendemain.
Exactement comme lorsque j’étais employée, je prends les tâches les unes après les autres. Certaines me saoulent, d’autres me plaisent, par moments je ne suis pas motivée et j’ai envie d’aller faire une sieste, d’autres fois je suis très efficace et je reste collée à mon bureau. Bref, même s’il m’est arrivée plusieurs fois de finir de travailler largement après 18h ces dernières semaines (ce qui n’arrivait pratiquement jamais lorsque j’étais salariée parce que faut pas déconner), je retrouve de manière très fluide mon moi du travail et j’en suis plutôt contente.
Pour être honnête, mon rapport au travail, que j’estime plutôt sain, est une chose dont je suis fière.
Je vous le dis franchement, ça m’ennuierait beaucoup politiquement et philosophiquement de me retrouver comme bon nombre d’artistes et créateur·ices en burn out d’en avoir trop fait et d’avoir trop tiré sur la corde dans quelques mois ou années. J’y porte donc une grande attention, même si je pense être assez peu perméable, par nature, aux risques du burn out, n’ayant aucun mal à m’écouter quand j’ai besoin de repos ou de détente.
Cette semaine j’ai planifié mon année 2025 avec les projets potentiellement rémunérateurs que je voudrais mettre en place. J’en ai sélectionné 5 + le projet de fin du tome 1 des Mirages d’Abalon qui reste en toile de fond (qui va me prendre un temps infini sans me rapporter un centime avant un bon moment) et je les ai dispatchés dans le calendrier de l’année en prenant bien soin de ne pas trop me surcharger. Est-ce que je vais gagner un revenu suffisant pour vivre avec ça ? Sans doute pas. Est-ce que je vais atteindre le revenu annuel moyen d’un·e artiste-auteur la première année (autour de 7000 € m’a dit la personne de l’URSSAF Limousin) ? Je n’y crois pas une seconde. Je pense très honnêtement que si je gagne plus de 1000 € net pour cette première année, ce sera le bout du monde et je serai déjà contente.
J’enfonce des portes ouvertes, mais il y a un poison méritocrate dans la pensée qu’il faut travailler beaucoup pour obtenir des résultats et du succès. Non seulement je ne crois pas du tout à cette assertion puisque ce que la société mesure comme du succès c’est le résultat à 90 % de privilèges de classe, de race et de genre et à 10 % de chance, mais en plus elle crée une dissonance cognitive quand on a travaillé comme un·e malade et qu’on n’obtient aucun résultat ou des résultats insuffisants. N’étant pas du tout certaine de réussir à me dégager un vrai salaire confortable en travaillant au-delà de mes capacités physiques et mentales, je préfère m’abstenir.
Telle la tortue de la fable, mieux vaut ne pas se cramer pour tenir sur la durée.
Je ne me crame donc pas et j’expérimente le fait d’être la salariée de moi-même, les concessions que je fais à ma moi-patronne (comme le fait de faire à bloc d’heures supplémentaires) et celles que je ne fais pas (comme être à l’heure le matin ou encore travailler les week-ends).
Ce que je remarque en revanche, c’est que la création reste, elle, toujours un plaisir. Mes deux heures en moyenne de création quotidienne (qu’il s’agisse d’écriture ou de dessin) sur environ six heures de temps de travail théorique, sont justement ce qui me manquait dans mes emplois salariés : un temps non compressible de créativité. Non compressible parce que mes seules possibilités de revenus en dépendent, ce qui est aussi angoissant que merveilleux.
Évidemment, quand je parle de plaisir de faire, je ne prétends pas que ce temps de création soit exempt de doutes ou de difficultés, mais je constate que pour le moment en tout cas, je suis toujours contente de reprendre les corrections de mon roman (même si je continue de galérer sur le chapitre 10) et toujours contente de commencer à dessiner (même si j’ai toujours la flemme de sortir mon matériel). Même les jours où j’ai la flemme, comme celui où j’écris ces lignes par exemple, où je préférerais me glisser sous le plaid de mon canapé pour lire un roman, même ces jours-là, la création me remplit de bonheur parce qu’elle comporte en elle une liberté jubilatoire.
Garder des interstices de création pure
Ça ne fait que deux semaines que j’ai repris le travail, ressenti = 1 mois.
La liste des tâches que je rentre dans mes bases de données de gestion de projet Notion ne cesse de s’allonger plus vite que celles que je coche comme terminées et les semaines passent à une vitesse invraisemblable tant mes journées sont remplies de trucs à faire. Néanmoins je reste très claire sur ma priorité de l’année, qui est de devenir une meilleure artiste. Pour ce faire, un seul moyen : pratiquer l’écriture et le dessin inlassablement et je perçois déjà des changements.
L’écriture de courts textes de fiction au quotidien, m’a fait prendre conscience de mes habitudes langagières et j’essaye maintenant d’être plus attentive aux mots que j’emploie quand j’écris, de ne plus seulement m’intéresser à ce que je raconte sur les personnages que je décris, mais de faire aussi mes choix de termes en conscience. Ce n’est pas évident quand on ne s’accorde que 10 minutes d’écriture par jour, mais c’est déjà intéressant et c’est quelque chose que j’ai hâte d’explorer dans la troisième phase de corrections des Mirages d’Abalon (je vous en reparlerai très certainement).
Côté dessin, je trouve que la pratique quasi quotidienne du dessin d’observation (notamment d’après modèle vivant) a déjà pas mal amélioré mon rapport aux proportions. Le progrès n’est pas quelque chose de linéaire, mais je constate une amélioration générale, et c’est motivant. Chaque semaine, j’essaye également de me réserver un temps pour explorer un autre médium que le mélange d’aquarelle et de crayons de couleurs que je pratique au quotidien.
Cette semaine, je me suis donc offert une petite heure pour tenter de dessiner pour la première fois un autoportrait au pastel sec, ce qui me faisait envie depuis longtemps. Même si je ne suis pas très satisfaite du résultat (notamment au niveau des proportions et des couleurs), j’ai pris un plaisir incroyable à le faire et je lui trouve des qualités qui me confortent malgré tout dans cette exploration. Un bon rappel que selon les outils, dessiner ne prend pas tant de temps que ça et que l’expérimentation est source de joie.
Dans les prochaines semaines, j’aimerais beaucoup tester la linogravure, ce qui me permettrait en plus d’écouler un papier que je déteste pour l’aquarelle. Bref, mon mantra actuel : garder du temps pour la joie de la création pure et pour le reste, faire ce qu’on peut.
Je vous remercie de m’avoir lue.
À dimanche prochain.
Cette semaine sur le blog
L’article de la semaine est consacré à ma chemise Rimini cousue en décembre dans des chutes de vieux draps jaunis et tachés. C’était un petit défi qui m’a fait douter, mais laissez-moi vous dire que je suis très contente d’avoir sauvé ce tissus de la poubelle. Il est sûr que la récupération prend plus de temps que les achats neufs (c’est vrai pour tout et pas seulement pour la couture), mais personnellement je trouve très satisfaisant de donner une deuxième vie à un objet.