Cette semaine, je suis allée à Marseille pour la reprise des réunions de mon cercle littéraire afin de parler écriture, discuter de nos pratiques et nous faire des suggestions mutuelles.
Je ne vais pas souvent à Marseille parce que c’est toute une aventure. Le trajet est long (1h30 au minimum quand les correspondances bus/train sont alignées), je suis obligée de me faire héberger sur place faute de pouvoir rentrer tard en transport, les billets de train sont chers (15,40 € aller)… bref, je profite peu de cette ville, qui me plaît pourtant beaucoup. J’aime son énergie, son chaos, et surtout son architecture.
Pendant que je regardais par la fenêtre du TER qui me ramenait chez moi, je voyais tous ces vieux immeubles, ces petites maisons perchées au milieu de la ville et je me suis dit qu’il fallait vraiment que je vienne y passer une journée pour prendre des photos et dessiner.
C’est quoi mon truc avec les bâtiments ?
J’adore l’architecture et mes goûts en la matière sont éclectiques. J’aime le style de l’architecture bourgeoise, celle qu’en général on qualifie de belle, mais également les bâtiments délabrés, abandonnés, sans aucun doute parce qu’ils font écho à l’esthétique romantique de la ruine, et je suis aussi friande des architectures industrielles, des usines, des gares, de certaines barres d’immeubles... Je trouve qu’il y a de la beauté dans la laideur et je crois que j’ai exercé mon œil à un large panel de constructions. Je cite souvent le livre Spider’s strategy du photographe japonais Osamu Kanemura, que j’ai découvert quand j’étais encore étudiante, et qui a eu, je pense, une grande influence sur mon développement esthétique.
L’architecture parle à mon goût de la trace, ce qui reste d’un·e humain·e quand cet·te humain·e n’est plus.
Je confesse que les paysages m’inspirent assez peu. Bien sûr, je trouve la nature belle (et c’est un plaisir pour les yeux de vivre en Provence), mais ça ne m’inspire rien de particulier. Je n’aime d’ailleurs pas beaucoup dessiner des paysages. Ce qui m’intéresse dans la nature, c’est ce qu’en font les artistes peintre, dessinateurs, photographes et qui parviennent à l’enchanter.
En revanche, donnez-moi une maison de berger à moitié écroulée au milieu de la garrigue et là ça me raconte une histoire, là ça m’inspire !
D’avoir dessiné autant d’architecture dernièrement m’a vraiment donné envie de me spécialiser là-dedans, dans le sens d’explorer ces représentations sur le temps long. Je me suis dit que quitte à continuer à dessiner de l’architecture, j’allais proposer aux gens qui aiment mon travail de réaliser des portraits de maison personnalisés et ça m’a poussée à m’interroger sur ce qu’on entretient comme rapport avec la maison.
C’est quoi une maison ?
En préparant ce projet, j’ai dessiné des maisons dans différents formats, d’après différents supports pour essayer de voir si j’étais capable de le faire, notamment même si je trouvais une façade sans intérêt esthétique.
Je me suis alors dit qu’une maison n’était pas tant son enveloppe extérieure que la dimension symbolique qu’elle revêtait. En repensant aux maisons qui ont une grande importance émotionnelle pour moi, je me suis aperçue que leur aspect extérieur ne me plaisait pas particulièrement et j’en suis venue à douter de cette idée de portraits personnalisés. Ce qu’on aime dans une maison c’est ce qu’elle raconte à nos souvenirs et aussi que c’est un lieu dans lequel on se sent bien, ça n’a pas grand chose à voir avec sa façade.
En plein doute, et parce que de toute façon je ne savais pas quoi faire d’autre, je me suis lancée dans le dessin de la maison de mon adolescence et de mon début de vie d’adulte, dans laquelle j’ai vécu de 1997 à 2013, que mes parents ont vendu il y a deux ans. Quand ils ont déménagé, je n’ai pas été particulièrement émue de ce départ définitif. C’était une maison pleine de souvenirs, mais je m’en étais détachée avec les années. Habitant loin et y allant de moins en moins souvent, j’en étais venue à ne plus reconnaître la ville de mon enfance, ce que vivent, j’imagine, toutes les personnes qui quittent leur lieu d’origine.
Par ailleurs cette maison était jolie avec une architecture typique de la région parisienne en pierre meulière, mais dans un environnement pas franchement inspirant : un pavillon de banlieue en face de la voie ferrée, on a connu plus bucolique. Bref, je me suis lancée dans ce dessin par curiosité et j’ai été surprise des émotions que cela a fait naître. En guise de modèle j’ai dessiné d’après une photo envoyée par mon père au moment de la mise en vente et des vues de Google Street View. Les photos Google datent d’avant le déménagement de mes parents donc me balader dans cette rue virtuellement c’était un peu comme si j’étais de retour à la maison.
Ensuite, pour mettre en valeur ce dessin, j’ai choisi de prendre un format plus grand, qui utilise plus de papier (et le bon papier, c’est cher donc j’ai en général tendance à l’économiser), mais qui m’a permis de prendre plus de soin aux détails, ce que cette pierre meulière méritait. J’ai, de fait, passé un peu plus de temps sur ce projet que sur mes illustrations habituelles, ce qui m’a donné tout le loisir de repenser à cette maison et à certains souvenirs qui y sont associés.
J’ai choisi de représenter sur le dessin les câbles électriques qui figurent la proximité avec la voie ferrée (alors que ce sont en réalité les câbles du téléphone) et un oiseau posé dessus parce que mon père est un grand passionné d’oiseaux, qui passait beaucoup de temps à les observer s’ébattre dans le jardin. En substance, j’ai mis un peu d’âme dans ce dessin et je me suis dit que c’était peut-être là une piste à explorer.
En plus des photos de référence dont j’aurai besoin pour réaliser ces portraits de maison personnalisés, il me faudra aussi des souvenirs racontés, pour que ces dessins soient chargés d’un peu d’âme et de poésie.
Dire au revoir à une maison
En 2024, ma grand-mère a annoncé à ses filles et à ses petits-enfants qu’elle souhaitait vendre sa maison dans l’Hérault. Cette maison, qui avait appartenu à mes arrières-arrières-grands-parents était devenue la maison de vacances de mes grands-parents. Mon grand-père, originaire de la région et très attaché à cette maison est mort là-bas et enterré dans le cimetière du village. C’est une maison dans laquelle j’ai passé toutes mes vacances d’enfant, dans laquelle je retournais au moins une fois par an depuis l’âge adulte. Une maison pleine de souvenirs d’une famille nombreuse, dont l’esprit a habité l’écriture de mon premier roman. C’est peu dire que la vente prochaine de cette maison est pour moi un déchirement. J’ai versé et je verse encore à ce sujet des torrents de larmes. C’est la maison de famille que je pleure, plus que les murs en eux-mêmes (recouverts pourtant des plus beaux papiers peints années 1970 que l’humanité ait créés1), mais peut-être que quand je serai devenue une étrangère à cette maison, qu’elle aura été ravagée par son nouveau propriétaire (ce sera forcément un ravage puisque ce ne sera plus ma maison), je serai heureuse de la dessiner telle qu’elle était avant et d’en garder une trace enchantée. Et peut-être ne suis-je pas la seule dans ce cas. En tout cas, c’est le pari que je vais tenter avec cette proposition de portraits de maisons personnalisés. J’ai encore pas mal de choses à faire avant de les lancer officiellement, mais je vous raconterai.
Je m’arrête ici pour cette lettre et je vous donne exceptionnellement rendez-vous mercredi prochain pour le premier Atelier Artistana(r)t, qui vous proposera un exercice d’écriture à faire en 15 minutes sur la sensorialité des lieux. Pour être honnête, je suis très excitée par ces lettres Atelier et je prends beaucoup de plaisir à imaginer des exercices d’écriture et à les tester. J’espère que cela vous plaira également et que cela vous donnera envie d’écrire.
En attendant, je vous souhaite un bon dimanche.
À mercredi prochain.
Cette semaine sur le blog
J’ai publié un instantané poétique, qui fait partie de ma nouvelle habitude d’écrire de courts textes tous les matins en fonction de l’inspiration qui me vient. Je ne sais pas trop quoi penser de ce texte en revanche je déteste l’illustration de couverture qui ressemble à une couverture bâclée de romance Harlequin. Je crois que j’ai passé un nouveau palier en dessin et je commence à vouloir beaucoup plus contrôler ce que je publie. Il y a un côté “je n’assume pas mes vieilles croûtes” et je n’assume clairement pas les trois dernières couvertures d’articles du blog, que je n’estime pas à la hauteur de ce que je suis capable de faire aujourd’hui. Il va donc falloir que j’arrête de prendre ces dessins par-dessus la jambe et que je travaille un peu plus...