Saturation du marketing de fin d’années
Comment aborder cette période quand on est artiste et on fait quoi des pauvres ?
Si vous traînez un peu sur Instagram ou si vous êtes abonné·e à plusieurs newsletters promotionnelles, la débauche consumériste de la période ne vous aura pas échappé. De mon côté, je suis beaucoup d’artistes et artisanes sur les réseaux sociaux, je suis abonnée aux newsletters de quelques marques principalement dans l’univers de la couture et je suis arrivée cette année à un niveau de saturation jamais atteint1. Recevoir tous les jours des informations sur de nouvelles collections, des dates de ventes, des rappels promotionnels a réussi à me donner tellement la nausée que j’en suis venue à supprimer quantité de mails sans les lire alors que l’on parle de marques, d’artistes et artisanes dont je suis habituellement le travail. Même si j’achète rarement, je vais souvent regarder les nouvelles collections de patrons ou de tissus qui sortent par exemple, histoire de rêver et m’inspirer un peu. Mais en ce moment, tout cela dégueule tellement que ça m’a écœurée. Il est possible que le fait de ne plus avoir de revenu en cette fin d’année et d’avoir décidé de ne pas faire de dépense de loisirs jusqu’en 2025 a joué dans cette saturation, mais en tout cas ça a fait naître deux réflexions, que je vais essayer de vous partager.
Comment gérer la période de Noël quand on est artiste ?
Quand on est artiste, il semble que la vente de Noël soit un passage obligé. La plupart des artistes que je suis sont surchargés de travail à cette période. Que ce soit des rendus de projets pro, des ouvertures de boutique en ligne, des commandes de portraits personnalisés ou plus généralement de la création de contenus sur les réseaux sociaux, tout le monde se débat pour essayer d’exister au milieu de l’océan de contenus similaires des artistes qui essayent de vendre leur travail aux gens susceptibles de l’acheter.
En tant qu’observatrice en passe de me retrouver de l’autre côté de la barrière l’année prochaine, ça me fait réfléchir. Ma première réflexion c’est que je trouve tout cela profondément vain. Dans une période où littéralement la terre entière inonde Internet de contenus promotionnels, il me semble que c’est complètement absurde d’espérer être un peu visible en novembre/décembre. J’ai l’impression que c’est mettre toute son énergie dans un jeu qui est déjà plié d’avance et donc en sortir découragé·e et épuisé·e.
Personnellement, j’ai une approche d’Instagram assez relâchée. Je garde un rythme soutenu de publications pour ne pas être trop pénalisée par l’algorithme, mais dans la mesure où je vois bien que mes statistiques sont plus basses et l’engagement moindre qu’à d’autres périodes de l’année, je trouve que ça ne sert à rien de me débattre et je me dis juste : on verra bien en janvier.
Depuis la création de mon compte professionnel en juin dernier (@luchou_art), j’ai un regard sur Instagram un peu éloigné de ce qu’on lit dans les conseils marketing de formateurices. Mon observation de la plateforme c’est que tout est complètement aléatoire. Certains contenus vidéos (reels) exactement similaires à d’autres font des bides alors que d’autres sont beaucoup vus (à mon échelle ridiculement petite), il n’y a pas de pattern, pas d’histoire de « ce contenu était de moins bonne qualité qu’un autre », c’est du pur hasard, j’en suis absolument convaincue. À partir de là, je trouve que ça retire beaucoup de pression. Ça n’empêche pas de mettre en place une stratégie ou un rythme de publications, mais globalement, que ça marche ou non ce sera complètement décorrélé de l’énergie que j’y aurai mise, donc autant m’économiser.
Or, je trouve que s’il y a bien un moment de l’année où il faut se ménager c’est en novembre/ décembre2. En fin d’année, il fait froid, il n’y a plus de lumière, on est fatigué·e : à quel moment on s’est dit que c’était une bonne idée d’utiliser cette période pour cravacher ?
Jusqu’à la semaine dernière, comme tous les artistes, je m’étais dit que l’année prochaine je créerais sans doute une collection spécifique pour Noël puisque c’est apparemment le moment où les gens ont envie d’acheter des trucs aux artistes, mais après ces réflexions, je me suis dit que non.
Est-ce qu’on peut arrêter de surconsommer, bordel de merde ?
Pour commencer, moi je ne suis pas une fan de Noël. Je trouve que l’ambiance de Noël n’est chouette que lorsque l’on est en vacances et qu’on a du temps pour en profiter. Sinon c’est juste la vie normale et on a autre chose à faire que confectionner des décos de Noël maison ou que sais-je. En outre, depuis que j’ai une conscience écologiste et anarchiste, Noël a perdu beaucoup de sa saveur. Que ce soit dans ma famille ou avec mon compagnon, on ne se fait pratiquement plus de cadeaux à cette période donc il n’y a plus, dans ma vie et depuis longtemps, de frénésie d’achats avant les fêtes.
À la rigueur, moi, ce que je fais frénétiquement en fin d’année c’est des gâteaux et, quand j’ai des sous, je m’offre une céramique ou un tirage d’art d’une artiste que j’aime bien. Je suis donc super loin du concept de cadeau de Noël et je trouverai ça un peu absurde qu’en tant qu’artiste je fasse comme si j’en avais quelque chose à foutre du christmas spirit.
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Moi ce que j’aime dans Noël, c’est que ce soit l’hiver (je suis de la team saisons froides), que ce soit l’occasion de passer du temps avec ma famille et surtout que ce soit les VACANCES (oui, je suis peut-être un peu monomaniaque) avec tout ce que les vacances comportent de trucs cool. Pour moi c’est cuisiner, regarder des films sous un plaid, broder, tricoter, traîner au lit, manger des gâteaux et réduire ma présence en ligne. Je n’ai pas envie de créer des contenus spécifiquement marketés pour les fêtes dans le but de vendre mon art à Noël.
Même, cette idée me démoralise. Je ne comprends pas pourquoi les humain·es de 2024 consomment toujours plus plus plus. Je ne comprends pas comment le capitalisme a pu autant empoisonner les esprits. Je ne comprends pas pourquoi tant de gens ressentent ce besoin d’acheter des objets neufs encore et encore3.
Il se trouve que dans mon paradigme, l’art fait partie des choses essentielles. C’est essentiel pour moi de consommer de l’art, j’en parlais ici 👇,
c’est donc essentiel pour moi de soutenir financièrement les artistes que j’aime dès que je le peux (en souscrivant des abonnements payants, en achetant des choses dans leur boutique…), mais c’est un truc qui n’a absolument rien à voir avec les fêtes de fin d’année. Or, si tout le monde vend ses œuvres à la même période limitée, il y a embouteillage et concurrence sévère.
J’ai l’impression que quand les artistes essayent de vendre leur production, ils et elles ne croient s’adresser qu’à des personnes qui ont les moyens de l’acheter alors que la plupart des gens qui les suivent sont probablement en galère : spoiler alert, les gens qui partagent la même sensibilité que les artistes de gauche ne font probablement pas partie des individus les plus riches et l’inflation n’aura échappé à personne. Dans toute la communication que je vois passer depuis quelques semaines, j’ai l’impression que cette histoire de capacité à acheter ou non n’est jamais considérée et ça me travaille. On fait quoi des pauvres qui aiment l’art et qui auraient envie de soutenir des artistes et artisan·es, mais ne le peuvent pas ?
Je n’ai pas vraiment de réponse, mais j’espère que je n’aurai pas oublié cette réflexion quand ce sera à mon tour de vendre des créations.
Bref, je vous remercie de m’avoir lue, je résume les deux idées phares de cette lettre :
arrêtons d’acheter des trucs à Noël,
arrêtons de vendre des trucs à Noël.
C’est tout pour moi, merci.
À dimanche prochain.
Cette semaine sur le blog
Ou peut-être que j’avais juste oublié…
En juillet/août aussi d’ailleurs, mais c’est un autre sujet.
Chaque semaine quand je lis ta lettre, ça me fait réagir, et j'ai envie de te répondre... Mais je cours toujours tellement après le temps que je ne le fais pas ! Donc quelques réactions en vrac à tes dernières réflexions :
Seuls les gens créatifs / sensibles à l'art voient l'intérêt des œuvres d'art, et le travail qu'il y a derrière... mais ce sont rarement les gens les plus capables financièrement de les acheter ! On est bien d'accord là-dessus et c'est un constat partagé par la plupart des artistes et artisans d'art.
Quand, en plus, tu fais comme moi des œuvres plutôt engagées, et impossible à reproduire par moulage, tu te retrouves face à un dilemme : soit tu vends un prix correct par rapport au travail fourni, et personne ne peut les acheter, soit tu "brades", ce qui ne permet pas d'en vivre, et déconsidère ton travail et celui de tous ceux qui essaient de vivre de leur art - soit, et c'est l'option à laquelle beaucoup de mes amies artistes finissent par se résoudre, tu adaptes ta production aux goût du public. Tu fais des pièces plus petites, plus simples, qui prennent moins de temps à faire et que tu peux vendre moins cher ; des pièces plus "mainstream" aussi, purement décoratives, ou des petits bijoux... et tu ne peux pas te permettre d'ignorer les moments de l'année (comme Noël) où les gens sont prêts à dépenser pour du superflu.
J'aime exposer, j'aime que mon travail fasse réagir, mais je veux absolument que mon art reste mon espace de liberté totale, où je fais parce que j'ai envie de faire, parce que j'ai quelque chose à dire. Je vois trop d'artistes, autour de moi et sur Instagram, qui finissent par produire à la chaîne du petit artisanat décoratif - et qui doivent en plus le faire avec le sourire comme si elles adoraient ce qu'elles font, parce que le client veut croire qu'il achète des truc rares et précieux dans lesquels l'artiste a mis toute son âme !
Je suis désolée si je parais amère, ou décourageante vis à vis de ton projet de vivre de ton art, mais sauf exception, je ne crois pas qu'il soit possible, dans une société capitaliste obsédée par la productivité comme la nôtre, de vivre de son art sans plus ou moins le (et se) compromettre. Pour ma part j'ai fait le choix d'avoir un autre métier à côté. Ce n'est pas idéal - pour l'instant je travaille à plein temps, et ma fille n'a encore que 10 ans, donc le temps que je peux consacrer à la sculpture/couture/écriture... n'est pas énorme. Mais quand ma maison sera finie de payer, ma fille un peu plus grande, je pourrai me mettre à temps partiel et avoir plus de temps. Et surtout, ça me permet une attitude beaucoup plus détendue par rapport à ce que je fais, et au public - là où certains s'agacent des gens qui restent regarder trois plombes sans rien acheter, je peux savourer sereinement le fait que, s'ils restent regarder, c'est que ça les intéresse, et peu importe s'ils n'achètent rien... Lors d'une expo en plein air il y a un peu plus d'un an, il y a un sdf qui a flashé sur une de mes sculptures. Il était pieds nus, limite en guenilles, il osait à peine s'approcher et il reculait dès que des "vrais" clients potentiels approchaient, mais il revenait après, timidement. Il n'a pas essayé de me réclamer de l'argent, ni de me draguer... On était dans la pure émotion esthétique ! ça m'a fait énormément plaisir, et j'ai été contente de lui donner ma carte, et de lui dire qu'il pourrait retrouver des photos de sa belle sur mon blog, à défaut de la voir en vrai.
Bref, j'arrête là ce pavé, parce qu'il faut que j'aille travailler, justement ! Merci encore pour tes écrits !
Une solution c'est le troc créatif. La semaine dernière j'ai échangé mes créations avec une potière ^^