Depuis les vacances de Noël, je bloque sur les corrections du chapitre 10 de mon deuxième roman, Les mirages d’Abalon. Naturellement, comme à chaque fois que je suis bloquée dans mon écriture, je pense à toutes les idées possibles et imaginables d’autres projets sur lesquels travailler.
Mon esprit s’est arrêté sur le raisonnement suivant : puisque je n’arrive pas à avancer mon deuxième roman, pourquoi ne pas revenir sur le premier ?
Ce premier roman Des traces1 a été écrit entre 2019 et 2021, puis mis en ligne sur mon blog parce que j’avais besoin de passer à autre chose plutôt que de subir les délais insupportables du monde de l’édition.
En février 2022, j’étais arrivée au maximum de ce que je pouvais faire seule sur ce roman et j’en avais marre. Je l’avais partagé sans faire aucune communication dessus, en espérant vaguement qu’il serait lu. À l’époque j’avais mis un simple lien pour connaître le nombre de téléchargements, mais un téléchargement ne vaut pas une lecture et j’aurais bien aimé avoir l’idée de proposer ce lien en échange de l’inscription à une liste de diffusion, histoire de pouvoir communiquer à mon lectorat potentiel des informations sur mes projets suivants (ce que je n’ai fait que cette semaine si vous voulez tout savoir).
Bref, quand je l’ai mis en ligne, je voulais juste me débarrasser parce que je n’en pouvais plus, mais je garde une amertume vis-à-vis de ce premier roman. Il n’est pas allé au bout de ce que j’aurais voulu (une publication papier de toute évidence) et me reste une sensation d’inachèvement.
Par ailleurs, de manière très pragmatique, puisque maintenant je dois faire en sorte de gagner de l’argent à partir de ma production artistique, je trouve que c’est du gâchis d’avoir passé deux ans de ma vie à écrire un roman qui m’a fait suer sang et eau pour n’en rien faire et le garder comme un projet confidentiel.
Ce sont deux raisons, qui, je trouve, sont tout à fait valables pour décider de remettre ce projet sur la table pour voir ce qu’il serait possible d’en faire : que ce soit une auto-édition, une réécriture, une adaptation illustrée… Bref, d’aboutir ce roman que j’ai un peu abandonné à la première étape de sa vie indépendante.
Quel que soit le domaine d’activité, j’ai l’habitude de reprendre de vieux projets. Il m’est plusieurs fois arrivé de découdre et recoudre intégralement de vieux costumes historiques que je jugeais qualitativement insuffisants et Les mirages d’Abalon, qui sera mon deuxième roman est en fait une totale réécriture du tout premier roman que j’ai terminé, écrit entre mes 15 et mes 19 ans, qui s’appelait à l’époque Ammemnor ou le dernier fils. Je vous renvoie à la lettre ci-dessous pour reprendre l’histoire du début.
Honnêtement, ça ne me dérange pas du tout de remettre le nez dans un vieux truc, d’en jeter la moitié à la poubelle et de sauver ce qu’il y a à sauver. Je crois qu’il y a quelque chose de relaxant à ça plutôt que de partir d’une page blanche, sauf que réécrire un roman c’est quand même un peu plus complexe que s’emparer d’un découd-vite pour faire sauter des coutures. Ce n’est ni la même implication émotionnelle ni le même temps passé (même si la couture historique prend des heures et des heures, l’écriture romanesque, en ce qui me concerne et à mon grand désespoir, se compte plutôt en années). Je ne suis pas contre, sur le principe, reprendre Des traces pour l’améliorer.
Mais.
Mais, la seule idée d’ouvrir le document pour le relire m’ennuie profondément.
La flemme de rouvrir ce vieux projet, que je connais à la fois par cœur et que j’ai en même temps oublié. La flemme de retrouver la moi d’il y a quatre ans, qui en était ailleurs dans sa vie, la flemme de découvrir sans doute que ce roman ne m’intéresse plus aujourd’hui.
Je parle de flemme, mais soyons clairs : il s’agit de peur.
J’ai peur de trouver ce roman complètement nul et d’être horrifiée qu’il ait pu être lu dans cet état. J’ai peur de me dire qu’il ne vaut pas le coup d’être sauvé.
Des descriptions pour une littérature de qualité
N’ayant pas relu ce premier roman depuis quatre ans et ayant une mauvaise mémoire, tout ce que je vais vous raconter maintenant est l’histoire que je me raconte : je ne sais pas si ça a quelque chose à voir avec la réalité.
L’histoire que je me raconte, c’est que je sais à peu près raconter des histoires justement, en revanche je n’ai pas une grande confiance dans mes qualités littéraires. Je sais composer des phrases qui se lisent avec fluidité et leur musicalité est importante pour moi, en revanche je n’écris pas avec style. Je ne sais pas faire de belles phrases ou susciter des images poétiques. Dans l’écriture je me concentre sur l’efficacité et le plaisir de la narration et pas sur la littérature. Sans l’avoir relu, c’est le sentiment que j’ai de ce premier roman, Des traces : une histoire chouette, mais d’une qualité littéraire moyenne.
Je trouve que le style en littérature, c’est marcher au bord d’un précipice et risquer à chaque instant de tomber la tête la première dans la vase du lyrisme. Ce que j’appelle lyrisme ici, ce sont des effets de style qui tombent à plat, qui ne servent pas le texte et qui sont juste là pour que l’auteurice puisse s’écouter parler.
Je pense que j’ai encore cette croyance qu’il faut du talent pour écrire avec style et que sans cela on s’expose au ridicule, ce qui, il faut bien le reconnaître, est plutôt inhibant.
La vérité à mon avis se situe plus probablement dans la pratique et le travail, or pour travailler il faut risquer de s’exposer au ridicule et ça, personne n’en a envie.
Je sais que mes romans manquent de descriptions. Par goût personnel de lectrice, j’aime les suggestions subtiles plutôt que les longues descriptions détaillées, mais il y a tout de même un juste milieu entre les deux et je n’y suis pas vraiment.
J’ai envie de m’améliorer sur le sujet. J’ai envie d’oser tenter le ridicule pour essayer d’insérer plus de pauses poétiques et visuelles dans mes histoires, mais je dois reconnaître que mes tentatives cette semaine se sont soldées par une page blanche. Le blocage est sérieux.
Cette semaine, j’ai lu une description dans L’art de la joie de Goliarda Sapienza qui m’a donnée envie de vous la partager. Elle survient à la fin de la première partie pendant laquelle le besoin d’émancipation de l’héroïne, qui se traduit par son désir de voir enfin la mer pour la première fois, revient en leitmotiv pendant 200 pages. Cette description, assez sobre, est, je trouve, très belle, parce qu’elle conclue une émotion que l’autrice a nourrie pendant 200 pages chez son personnage et donc chez nous. Le style est poétique, mais surtout il sert la narration. J’ai corné la page pour en garder la trace, ce que je fais rarement.
« Dès que la voiture s’arrêta, le souffle coupé, je bondis dehors suivie de Béatrice. Et, peut-être parce que je m’attendais à le voir d’en haut comme avant, je dus lever les yeux pour trouver ce ciel liquide renversé qui fuyait calmement vers une liberté sans limites. De grands oiseaux blancs glissaient dans ce vertige de vent. Mes poumons libérés s’ouvraient et, pour la première fois, je respirais. Pour la première fois des larmes de reconnaissance me descendaient sur les lèvres. Ou était-ce le goût sec et fort de ce vent qui s’inclinait sur ma bouche pour la baiser ? » - Goliarda Sapienza, L’art de la joie, Éditions Viviane Hamy, 2005. p.202. (je souligne)
Voilà exactement l’exemple d’effets de styles qui servent le récit et tapent dans le mille. Maintenant, il s’agirait de faire pareil…
Bref, j’ai du boulot pour parvenir à incorporer un peu plus de littérature à mes textes, et ça vaudrait vraiment le coup que je relise Des traces avec toute la bienveillance dont je suis capable (c’est-à-dire pas grand-chose) pour avoir enfin une idée claire de si ce texte nécessite (et mérite) d’être retravaillé, mais la flemme ne m’a pas quittée tandis que j’écrivais cette lettre et reconnaissons que j’ai vraiment plein d’autres choses à faire de mes journées (accessoirement terminer le tome 1 de mon deuxième roman avant de remettre sens dessus dessous le premier).
Je suis en tout cas curieuse d’avoir vos retours sur ce sujet. Pour celles et ceux qui écrivent : aimez-vous vous relire ? Aimez-vous retoucher vos travaux indéfiniment ?
En attendant vos réflexions, je vous remercie de m’avoir lue.
À dimanche prochain.
Le dernier atelier d’écriture
Cette semaine sur le blog
Le sujet de la semaine ce sont les portraits de maisons, projet que j’évoquais dans la lettre de dimanche dernier. Dans cet article, je parle un peu plus précisément de ce que j’ai envie de faire.
Quand tu parles du précipice du style comme d'une corde raide moi c'est quand j'écris au premier degré que ça me le fait. Comme si chaque mot était dangereux a sortir. Et le côté du temps passé a écrire c'est une pression supplémentaire, et c'est là que réside la frustration pour moi. J'écris toujours avec une contrainte extérieure et je crois ça me rassure
Que ça me parle, tes interrogations !
Jeudi dernier, j'ai enfin fini le premier jet de mon deuxième roman ! Sachant que je n'arrive à consacrer à l'écriture que 3 ou 4 h d'affilée tous les 15 jours, et encore (hors période de vacances scolaires, maladie, réunions exceptionnelles...) tu imagines le temps que ça me prends pour aboutir... Et puis j'ai le même problème que toi, j'ai tendance à vouloir aller à l'essentiel, faire avancer l'histoire sans passer trois plombes à décrire (surtout que je suis aphantasique, donc je n'ai pas d'image mentale à laquelle me référer) ou à psychanalyser mes personnages. Je passe de fait beaucoup de temps à me relire, pour me remettre en tête où j'en suis avant d'écrire la suite... Mais je ne suis pas très douée pour retravailler, j'ai toujours l'impression qu'une fois que c'est écrit, c'est immuable, que ça ne peut pas être écrit autrement.
Maintenant que j'ai fini ce deuxième "tome" (en fait une histoire qui se passe dans le même monde, mais peut-être 10 ou 20 000 ans après...), je devrais théoriquement retravailler le premier, pour lequel un collègue m'a fait des remarques pertinentes. Mais je suis comme toi, ça ne m'enthousiasme pas, je préférerais me lancer dans un nouveau projet (j'ai une pièce de théâtre en anglais qui me trotte dans la tête depuis un moment, et puis un nouveau projet de roman, pas de SF cette fois, qui cherche à s'imposer aussi !)
Bon, tout ça en sachant que le monde de l'édition est bien en crise - j'avais tenté l'envoi à de multiples éditeurs, sans succès, ni même réponse la plupart du temps - et que ce que j'écris est sans doute trop étrange et trop politique pour être un pari sûr pour eux. Je commence à envisager l'auto-édition au format numérique, dans l'espoir tout de même d'être lue par quelques uns... Tu ne l'envisages pas ?